Il y a cent ans : l’incendie de Linthal et de Sengern Imprimer
Lundi, 27 Octobre 2014 07:15

« Le ciel était coloré en rouge, couleur sang, la fumée s’élevait de partout et des nuages de poussière et de cendre couvraient et enveloppaient le village dans une atmosphère irrespirable… ». C’est ainsi que le jeune Joseph WILLIER de Linthal, alors âgé de neuf ans et témoin de la scène, introduit la narration de la terrible tragédie du 25 octobre 1914 dans ses « Kriegserinnerungen – Mémoires de Guerre ».

Ce dimanche d’automne aurait pu être une journée ensoleillée ordinaire mais les troupes allemandes engagées dans le Haut-Florival en avaient décidé autrement. Dès 6 h 30, l’artillerie implantée sur les hauteurs du Dornsyl avait ouvert le feu sur le fond de vallée, prenant pour cible les usines textiles Klein et Gerrer ainsi que l’église Saint Nicolas de Sengern. A ces salves dévastatrices succéda le déploiement de 300 fantassins du premier bataillon du « Landwehr Infanterie Regiment Nr 123 » (L.I.R. 123) du Wurtemberg qui ont investi le centre et le quartier ouest de Linthal (le Niederdorf et le Hoefen) ainsi que le coeur de Sengern. Les soldats allemands portaient des torches et acheminaient 600 litres de pétrole.

Surpris au lever du jour et terrifiés par la détermination de l’agresseur, les habitants sont parvenus à quitter à la hâte leurs demeures avant l’imminence du malheur, sauvant quelques biens de première nécessité et libérant le bétail. L’une après l’autre, les habitations seront méthodiquement incendiées : à 10 heures, 36 maisons étaient ainsi en flammes. Les assaillants avaient même prévu de mettre le feu à la forêt entourant le bas de Linthal : ils avaient réquisitionné le valet du boulanger DEBENATH, chargé d’y transporter des charretées de bois sec. Mais les arbres arrosés de pétrole refusaient de se consumer : la forêt semblait avoir pris le parti des villageois.

Mais pourquoi donc ce déferlement de violence envers une population civile désarmée et amputée de ses jeunes hommes qui avaient déjà été enrôlés sur le front Est ? Les Allemands prétexteront des tirs embusqués provenant des habitations pour justifier leur « Strafgericht » (châtiment). Ils avaient même fait imprimer des cartes de propagande  qui prétendaient attester la véracité de leur version et justifier de « légitimes » représailles. L’un des soldats avait ainsi laissé sur les lieux du forfait une inscription aux intonations de guerre sainte : « Mit Gott für König und Vaterland, haben die Deutschen Linthal und Sengern verbrannt » (Avec Dieu pour le roi et la patrie, les Allemands ont incendié Linthal et Sengern).

Or, des nombreux témoins de cette dramatique  journée, aucun n’avait relevé le moindre coup de feu émanant de la population. L’incendie du 25 octobre 1914 n’était en fait que la mise à exécution des menaces déjà formulées trois semaines auparavant, le 4 octobre,  par l’Ortskommandant Günther dans un courrier adressé au maire de Linthal Joseph GERRER : «… unsere Artillerie schiesst das Nest zusammen, besonders sobald bemerkt wird, das die Lintaler die Franzosen irgendwie begünstigen… » (…notre artillerie rasera le patelin sitôt qu’il sera remarqué que les Linthalois favorisent les Français d’une quelconque manière…). Car la population manifestait régulièrement son attachement à la France en ravitaillant de nuit les patrouilles françaises, descendues des crêtes, au nez et à la barbe des troupes allemandes en cantonnement.

 

 Cette fidélité patriotique était certes cultivée par les vétérans de 1870 et quelques notables francophiles, comme le maire Joseph GERRER, première victime de la vindicte allemande, mais elle remontait aussi à l’importante immigration lorraine qui succéda à la Guerre de Trente Ans (notamment les familles Clad, Debenath, Diemunsch, Groff, Gully, Munschy et Tschaen, ou encore Willier, d’ascendance welsche). Cet épisode dévastateur se situe par ailleurs à une période charnière des débuts du conflit, avec des Allemands installés dans les villages et des Français repliés sur les hauteurs mais qui, grâce à des groupes francs comme celui dirigé par Gaston Brun, multipliaient les escarmouches en harcelant les avant-postes, en dynamitant des fortins et en sabotant la voie ferrée du « train blindé ». Cette tension ambiante a pu expliquer la violence de l’assaut des Wurtembergeois.

Evacués et laissés à l’abandon, les quartiers sinistrés offraient un bien triste spectacle de désolation lorsqu’après l’Armistice de novembre 1918, les habitants purent enfin quitter leurs refuges de la vallée de la Thur ou de l’Outre-Forêt, au nord d’Haguenau, pour enfin retrouver leur village natal. Un lent et douloureux travail de reconstruction les attendait, non seulement matériel, mais aussi moral et familial. En une décennie, entre 1910 et 1920, le village de Linthal avait perdu près du tiers de sa population, passant de 1003 à 721 habitants, déplorant 13 victimes civiles et 22 victimes militaires : le lourd déficit démographique sera surtout provoqué par l’exode définitif de tous ceux qui ne trouvèrent que ruines et friches à leur retour. « Une même espérance animait les rescapés de ces cinq années d’angoisse : - Nia weder Kriag – Plus jamais de guerre» : c’est ainsi que Joseph WILLIER conclura son journal. L’avenir allait hélas en décider autrement quelques vingt ans plus tard…

Samedi 25 octobre 2014, la municipalité de Lautenbach-Zell a rendu hommage aux victimes de cette agression gratuite contre d’innocentes familles de Linthal et Sengern. La commémoration a débuté au son de la fanfare des Sapeurs-Pompiers, avant que le maire Richard GALL ne relate l’historique des faits. Le dépôt de gerbe a été suivi par « La Marseillaise » entonnée « a capella ».

Le public a ensuite pu découvrir l’exposition documentaire présentée en l’église Saint-Nicolas par la Société d’Histoire « S’Lindeblätt », puisant dans les fonds de son archiviste Claude BEIL. Les plus courageux ont aussi bénéficié d’une visite guidée des principaux sites ravagés par l’incendie, illustrée par des photos prises avant et pendant la guerre, puis confrontées aux vues actuelles. La flânerie mémorielle était guidée par Hubert MARTIN et Jean-Yves FREY, au nom des associations locales VAL et « Amitié Florival-Magnoac ».       

 

 


 

Mise à jour le Lundi, 27 Octobre 2014 07:19